http://photographe.hautetfort.com/archive/2007/10/31/sacha.html#comments
Je m'endors en faisant de beaux rêves. Le lendemain matin, dimanche ici, je découvre les photos de Sacha ma nièce, sur le blog, j'envoie des petits messages de félicitations... Il fait beau, je me dis qu'aller prendre l'air ne me ferait pas de mal: plusieurs possibilités s'offrent à moi, tant la diversité des parcs est importante à Seattle. Je me décide pour Discovery Park qui est celui qui ressemble le plus à la vraie nature... Il faut traverser la forêt pour atteindre la plage... Bref, je décolle vers les 13h. En arrivant à l'entrée du parc, il y a un carrefour: à gauche, la forêt puis la plage et à droite, un panneau indique Cultural Center: j'avais déjà remarqué ce panneau et je m'étais dit qu'il faudra aller jeter un oeil puisque cela doit certainement traiter des indiens... J'hésite puis je me lance en direction du centre. Le centre, en lui même, de l'extérieur, ne paie pas de mine, mélange de béton des années 80 avec du bois des mêmes années, ce qui rend le tout plutôt défraîchi... A l'intérieur, personne, si ce n'est un gars qui fait le tour des bureaux vides pour vider des corbeilles à papier. Quelques photos, quelques sculptures, quelques prospectus... Je choppe quand même le gars pour lui demander s'il n'y a que ça à voir: ben oui, et aussi le jardin botanique. De jardin botanique, il s'agit en fait de trois plantes qui se battent en duel avec des écriteaux... Bien bien déçu de tout ça... Même pas un gars avec qui causer. Je continue et puis j'aperçois des voitures dans une clairière au milieu de la forêt en contrebas du centre et puis j'entends des percussions. Un tambour... Et puis je vois trois-quatre gens qui semblent bien être des "native americans". D'autres promeneurs passent sans leur prêter attention. Je me demande ce que c'est. Je me dis qu'ils doivent être en train de faire des choses qui ne regardent qu'eux et que je ferais mieux de passer mon chemin. Je me dis aussi que je suis à Seattle et que "y a pas que les hamburgers, l'université et les matchs de base ball"!! Je me dis que si j'y vais pas, je vais m'en retourner en France et puis voilà, ce sera tout... J'hésite. Bon j'y vais. J'approche, je vois une hutte basse couverte de toile de feutre, puis derrière, un feu entouré d'un cercle de pierre et qui créé un corridor jusqu'à l'entrée de la hutte. Devant la hutte, sur un petit tas de terre, une armature en bois à laquelle est accrochée une plume et sous laquelle se trouve du tabac. Deux hommes sont en train de jouer du tambour, assis sur des tapis près du feu. Une femme, une américaine, blanche, est emmitouflée près du feu. Un autre gars, le visage marqué, du genre qui n'a pas bu que de l'eau dans sa jeunesse, s'occupe du feu. Un quatrième homme vient à ma rencontre. Je me présente, lui dit que je viens de visiter le centre et que j'ai entendu les percussions. Il s'appelle Tom, indien de l'Arizona. On parle, lui explique que c'est pas facile de rencontrer des native americans, de découvrir leur culture, lui demande comment ça se passe dans les réserves, ce qu'il fait, etc. Les deux percussionnistes ont cessé de jouer et viennent se présenter. Le plus grand, agé de 50 à 60 ans, cheveux longs, très costaud, une tête de plus que moi, s'appelle Leeman et je me souviens plus d'où il est (Indien de l'Utah ou un truc comme), l'autre plus petit, porte un hameçon en os autour du cou. Forcément, il est hawaïen et s'appelle Brian. La femme, elle, c'est Cathy. Je leur explique le même truc: visite du centre, difficile de découvrir culture des native american, etc. Tout de suite, le plus grand me dit que je vais aller dans la hutte avec eux! 4 m de diamètre, 1 m de haut, un trou en son centre pour placer des galets chauffées dans le feu à l'extérieur. Il m'explique que c'est une cérémonie commune à la plupart des peuples indiens (
http://en.wikipedia.org/wiki/Sweat_lodge ), que l'on rentre à l'intérieur, que l'on place les pierres, l'on rabat le battant, que l'on se retrouve dans le noir et que l'on fait brûler des herbes sur les pierres chaudes, que l'on asperge d'eau pour faire monter la température à l'intérieur de la hutte comme dans un sauna, que si je ne tiens pas la chaleur, je peux sortir à tout moment... Bon, Brian me prête un short et une serviette et sans avoir le temps de penser, de dire non, d'hésiter, je me retrouve torse poil dans la hutte avec la femme habillée de la tête au pied et cinq bonhommes à moitié à poil. Je me demande ce que je fous là et c'est la première fois que ça me le fait, comme en voyage quoi! Je suis bien loin de tout à ce moment-là... Ils placent les pierres, 10 gros galets, Leeman place un peu de sauge sur une des pierres, puis du tabac, puis d'autres herbes que je ne reconnais pas... Brian, à l'extérieur rentre avec un seau d'eau, lui fait toucher les pierres au centre de la hutte et fait passer le seau jusqu'à Leeman, assis en face de l'entrée, dans l'axe du feu, face à l'est. Après cela, la porte est fermée et l'on se retrouve dans l'obscurité. La chaleur augmente tout de suite. Puis Leeman prend la parole et commence à expliquer, à m'expliquer ce qui va se passer, chacun va se présenter, expliquer qui il est, ce qu'il veut dire aux esprits, etc... Je me dis: qu'est-ce que je fous là!!!?? Il explique en tout cas qu'ils sont tous très honorés que je sois là, qu'ils ne savent pas pourquoi je suis là, que peut être moi-même je ne sais pas ce que je fais là, mais que tout cela a un sens. Tout ça dans le noir et dans la chaleur. Le premier à prendre la parole est un gars arrivé juste avant que l'on entre et qui s'appelle Fernando. Il se présente et explique que c'est un quechua du Pérou, ce qu'il fait à Seattle, que ça va pas fort en ce moment, etc. Puis c'est au tour du suivant et du suivant, le tout dans le sens des aiguilles d'une montre et à chaque fois, Leeman asperge les galets avec l'eau ce qui fait que quand arrive mon tour, il fait très chaud, et que l'on transpire tous comme des "porciaux". Je suis assez intimidé, essaie de parler le plus clairement possible, de dire des choses sensées sur ma personne, sur ce que je fais en tant qu'archéologue, tout ça dans le noir, ce qui rend la chose plus difficile. Heureusement, le code est de dire "huh" pour montrer que l'on acquièse. Lorsque le tour est fini, Leeman commence les pières pendant que Fernando et Brian se relaient au chant (mélopée de type indienne). J'hallucine mais bon en même temps, tout cela me paraît dans l'ordre des choses et ne me sens pas particulièrement un intrus dans cette cérémonie... Fin du premier round. On rouvre la porte, on remet des pierres et c'est reparti...Au bout du troisième round comme cela, Leeman commence à m'expliquer la signification de cette cérémonie, que la hutte représente l'utérus de la mère-terre, que cela permet aux hommes de partager les souffrances des femmes lors de leur règle, que cette cérémonie est comme une renaissance, qu'il fait chaud à l'intérieur et qu'il faut sortir à l'extérieur, comme le fait le nouveau-né... tout d'un coup, je me reconnecte avec le présent ou la réalité et je comprends maintenant pourquoi je suis là: Sacha. Coincidence, destin, etc: toujours les mêmes sempiternelles questions quoi qu'il en soit, je me retrouve ruisselant de sueur, à me souvenir des premières paroles de Leeman qui ne savait pas pourquoi j'étais là avec eux ce jour-là, et leur apprend que Sacha, ma nièce, est née quelques heures plus tôt. Leur "huh" était à la fois mêlé d'étonnement et d'évidence... Ce sur quoi, un nouveau round a été improvisé qui était mené par Leeman, le medecine man, et dédié aux prières indiennes pour la nouveau-née, sa famille, moi, sa soeur, ses parents, ses grands-parents, les amis, tout ce qui m'entoure de près ou de loin, y compris mon véhicule, si j'ai bien compris!!! C'est là oû la chaleur a été la plus intolérable, difficile de respirer tant l'air est chaud. Nous sommes tous sortis ensuite à quatre pattes du ventre de la mère-terre, le soleil venait de se coucher, il faisait nuit, ruisselant dans le froid, je venais de renaître selon le rite indien, de parcourir symboliquement le chemin qu'avait emprunté Sacha quelques heures plus tôt, celui que nous avons tous emprunté...
Drôle d'expérience, non? Difficile à raconter en fait...